TAM - Dévoiler les plus profonds secrets

La Journée internationale des enfants victimes innocentes d'agression a lieu chaque année le 4 juin. C’est pour nous l’occasion idéale de rencontrer la section TAM (Technique d’audition audiovisuelle de mineurs) de la Direction centrale de la police technique et scientifique (DJT) de la Police Judiciaire Fédérale. Nous nous sommes également entretenus avec Ellen Van de Weghe, chargée de cours TAM à la Police Locale de Gand.

TAM - Dévoiler les plus profonds secrets

Créée en 2001 au sein de la DJT, la section TAM est le point de contact national pour tout ce qui a trait aux auditions audiovisuelles de mineurs victimes ou témoins d’infraction. Elle a pour mission de contribuer à la collecte d’informations plus nombreuses et précises sur les circonstances dans lesquelles une infraction a été commise, tout en réservant un traitement sur mesure. À cet effet, la section veille principalement à la qualité et à la standardisation de la technique d’audition adaptée appliquée au sein des équipes d’enquête. Elle assure enquête, formation et information et fournit un appui matériel et méthodologique.

 

 

6 500 auditions en 2021

« La petite majorité des dossiers (3 413 en 2021) dans lesquels une audition audiovisuelle a été requise portent sur des faits de voyeurisme, d’attentat à la pudeur et de viol, soit 56,74 % des cas », dévoile Debra Van Den Abbeele, coordinatrice nationale du réseau TAM à la DJT depuis 2007 et membre néerlandophone d’une équipe également composée de deux autres collègues francophones. « Les lésions corporelles volontaires arrivent en deuxième place avec 1 677 faits (27,88 % des cas) en 2021. D’autres faits concernent aussi TAM, à savoir la corruption de la jeunesse et le proxénétisme, l’outrage public aux bonnes mœurs et Child Abuse Material (CAM), le grooming (le fait d'entrer en contact en ligne avec des enfants à des fins sexuelles), l’enlèvement, la privation de soins ou d’aliments... ; bref, toute atteinte lourde à l’intégrité physique. Dans 88,73 % des cas, l’audition audiovisuelle est requise par le procureur. Plus de la moitié des faits (57,57 %) ont lieu dans un contexte familial et les filles sont davantage entendues que les garçons (66,78 %). En 2021, l’âge le plus récurrent des jeunes filles auditionnées était 14 ans (11,15 %). »

Debra Van Den Abbeele

Debra Van Den Abbeele

 

Durée moyenne d’une audition : 51 minutes

« La personne mineure (ou majeure vulnérable) est invitée à se présenter dans un local TAM, de préférence le plus proche de son lieu de résidence, comme le précise la dernière circulaire en date », poursuit Debra. « La Police Fédérale dispose de 35 locaux officiels en Belgique, plus un kit mobile pour les personnes qui sont dans l’impossibilité de se déplacer, et qui sont hospitalisées, par exemple. La Police Locale tient quant à elle quelque 75 locaux à disposition. À l’avenir, les Centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS) devraient également être équipés de locaux TAM. L’enfant peut se rendre sur place accompagné ou on peut venir le chercher à son domicile ou à son école. Dans un premier temps, on le fait entrer dans le local d’accueil. Avant de procéder à l’audition, on lui fait visiter les installations, plus précisément la régie et le local d’audition. L’enfant peut ainsi se faire une idée de tous les moyens techniques mis en place : où se trouvent les caméras et les micros, quelles personnes assistent aussi à l’audition, etc. Dans le local d’audition, l’enfant a la possibilité de se faire accompagner par une personne de confiance, laquelle prendra toujours place derrière lui afin d’éviter au maximum toute influence. Cependant, l’auditionneur préfère qu’aucune autre personne ne soit présente dans le local d’audition : si cette dernière venait à changer de position ou à déglutir, par exemple, l’enfant pourrait le remarquer, ce qui pourrait influencer le récit de l’histoire. »

Salle d'accueil

L'espace d'accueil

 

Progresser pas à pas

« Les TAM reposent sur quatre piliers majeurs », développe Debra Van Den Abbeele. « Il faut d’abord veiller à rester objectif, tant dans la formulation de nos questions que dans notre attitude. Il faut ensuite faire preuve de respect en adoptant le vocabulaire de l’enfant et en parlant avec franchise, par exemple. Progresser pas à pas constitue notre troisième pilier. Enfin, nous réservons une action policière. Il nous appartient à ce moment-là de récolter les éléments d’information nécessaires et de détecter les éventuelles fausses déclarations. Chaque audition est décomposée en cinq phases, pour un total de onze étapes. Ce plan par étapes a été aligné en 2012 sur un protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD) appliqué partout dans le monde.

Après la phase 0, dite Salduz, au cours de laquelle les données d’identité sont récoltées, vient la phase 1 Introduction. Elle consiste à mettre l’enfant dans de bonnes dispositions, à visiter les différents locaux, à présenter les personnes en présence ainsi que leur rôle (le régisseur, éventuellement une personne de confiance, un psychologue...), à préciser les dispositions légales, à établir des accords, etc. Les enfants ont tendance à contenter les adultes : ils inventeront une réponse pour dire d’en donner une. Lors de cette phase d’introduction, on leur explique donc bien qu’ils n’ont aucune obligation de répondre à toutes les questions. On leur apprend également la technique de l’entretien et comment stimuler leur mémoire épisodique.

Le local du régisseur

Le local du régisseur

À la phase 2, Le récit libre, l’enfant est invité à faire librement récit de son histoire. Elle sera complétée et creusée à la phase 3, Le questionnement. La phase 4 Clôture de l’audition consiste entre autres à remercier l’enfant de s’être présenté, mais pas pour le contenu de l’audition.

Une audition dure 51 minutes en moyenne. L’avantage majeur est que l’enregistrement de l’audition peut être utilisé au tribunal, ce qui implique que la personne mineure ne doive pas nécessairement y paraître, et lui permet d’éviter une victimisation secondaire. Des spécialistes peuvent ensuite examiner et analyser l’ensemble ou des parties de l’enregistrement. Chaque mot est fidèlement rendu, sans la moindre interprétation. »

La salle d’interrogatoire

La salle d’interrogatoire

 

Grande capacité de réactivité

La Police Intégrée compte 723 auditionneurs formés aux TAM, dont 95 % appartiennent à la Police Locale. Ces auditionneurs sont répartis dans des réseaux TAM, composé chacun d’un coordinateur et d’un ou plusieurs chargés de cours. L’inspectrice Ellen Van de Weghe de la zone de police de Gand, membre de la section drogues de la recherche locale, est l’une de ces chargés de cours TAM. « La récente circulaire indique qu’il est préférable de travailler au sein d’un réseau plutôt que dans sa propre zone de police », pointe-t-elle. « Le réseau de Gand regroupe une dizaine de zones de police et compte 27 auditionneurs TAM (dont un est membre de la Police Fédérale), un coordinateur et cinq chargés de cours. Le système de permanence ne présente que des avantages, le plus important étant notre grande capacité de réactivité. Lorsqu’il a besoin d’un auditionneur TAM, l’enquêteur vérifie la liste des permanences, choisit une plage horaire libre et téléphone pour prendre rendez‑vous. Un autre avantage est la grande collaboration qui existe dans toutes les zones entre les membres TAM et les enquêteurs. L’une des richesses de notre fonctionnement est que les nouvelles recrues travaillent en équipe avec des membres expérimentés. Le réseau est entretenu et développé continuellement, ce qui donne une situation où tout le monde gagne, que ce soit le réseau lui‑même, mais aussi les chefs de corps, bien entendu. »

 

Du beau et noble travail policier

L’inspectrice Van de Weghe est avant tout auditionneuse TAM mais, en sa qualité de chargée de cours TAM, elle joue également un rôle spécifique : « Avec les autres chargés de cours et le coordinateur, nous organisons deux journées complètes d’entraînement pour l’ensemble du réseau, réparti en petits groupes. Ces journées servent à rappeler les techniques, par exemple. Nous programmons par ailleurs chaque année quelques jours de recyclage, durant lesquels nous faisons notamment appel au Stressteam de la Police Fédérale. Nous constatons que c’est là un réel besoin. Durant l’année écoulée, nous avons dû traiter de nombreux cas graves. Nous épanchons nos émotions entre nous, mais il arrive parfois que l’on ait quand même besoin de l’aide supplémentaire de professionnels. Les faits auxquels nous sommes confrontés sont très localisés, ce qui accentue encore la brutalité de leur réalité. J’ai également cessé de croire que les victimes sont surtout des filles : les garçons aussi sont la proie de grooming, de sexting, de viols commis par des pédophiles... Les personnes les plus vulnérables de la société viennent dévoiler leurs plus profonds secrets. C’est un beau et noble travail ; avoir l’opportunité d’accomplir cette mission de police est un honneur. »

Ellen Van de Weghe

Ellen Van de Weghe

 

Pour illustrer l’amour qu’elle porte à son travail (pour TAM), Ellen partage ce poème avec nous :

JEROEN

Vous savez ce que c’est, ces fêtes d’anniversaire, ce n’est ni la première ni la dernière.

Cette personne qui pour vous ne signifie rien, mais qui chaque année vous veut parmi les siens.

Ce sont toujours les mêmes têtes, et les mêmes conversations, sur le dernier voyage d’Elisabeth, et le football à la télévision.

Bientôt on parle de la police et de mon travail passionnant, « mais comment supportes-tu tout ça ? C’est si écœurant... ». Souvent je hausse les épaules et marmonne : « ce n’est qu’un travail tu sais... », mais parfois je voudrais qu’ils comprennent, et je ne peux pas laisser tomber.

Alors me revient l’histoire de Jeroen que je leur raconte, dans l’espoir qu’ils voient pourquoi pour nous ce travail compte.

Jeroen, petit garçon de sept ans, et bientôt huit bougies. Qui attend son père, la peur au ventre, quand vient le soir du mercredi. Car alors sa maman quitte la maison, elle va à la chorale répéter des chansons. Et c’est papa qui fait la routine du soir, qui met Jeroen au lit et lui lit une histoire.

Et quand craquent les marches de l’escalier, qu’il voit son papa entrer, alors Jeroen voudrait mourir,

car il sait ce qui va arriver. Et pendant que papa fait la lecture, Jeroen ferme bien fort ses yeux d’enfant, parce qu’il a peur des mains de papa, de toute cette sueur sur son front dégoulinant.

Ensuite, il restera éveillé des heures durant, jusqu’au retour de maman... Quand elle vient lui donner un léger baiser, il peut retrouver la paix.

Il y a deux ans, Jeroen a donné tous ses livres à son meilleur ami. Comme ça, sans la moindre explication, il n’a rien dit. Car Jeroen n’osait jamais rien dire, c’était le secret qu’il gardait le plus solidement... Papa l’a bien répété cent fois : « si tu dis ‘quelque chose’, tu vas faire beaucoup de peine à maman. »

Jusqu’au jour où, en pleine classe, les larmes ont soudain fini par couler. Son instituteur l’a pris à part pour demander ce qu’il lui arrivait.

C’est ainsi que Jeroen s’est retrouvé chez nous et a tout raconté, courageusement, à un gentil inspecteur qui le comprenait. Ce soir-là, Jeroen n’a plus eu mal au ventre, allongé dans son lit. Il lit ses livres tout seul maintenant, car pour son papa, c’est interdit.

Ce n’est pas pour le salaire, les indemnités, les statistiques ou une belle pension que nous nous battons.

Non, si nous faisons ce travail, c’est parce que nous savons que, maintenant, tout va bien pour ce petit garçon.

 

 

Une formation intense

Les chargés de cours TAM assurent par ailleurs le suivi individuel des membres du réseau et sont ainsi tenus, au moins une fois par an, de leur donner un feed-back sur l’une de leurs auditions TAM. Ils dispensent également des cours dans le cadre de la formation opérationnelle TAM et siègent au sein de la commission de sélection. Ellen Van de Weghe explique ainsi : « Je donne cours à PAULO et à l’ANPA, mais ce n’est pas le cas de tous les chargés de cours. La formation d’auditionneur s’étale sur cinq semaines environ et est l’une des plus intenses qu’il soit donné de suivre ET de dispenser ! Pour ma part, je ne siège pas au sein de la commission de sélection, car ce sont souvent des membres de la zone de police concernée qui participent. En revanche, j’assure l’évaluation des jeux de rôles finaux en tant que membre de la commission d’examen. »

« Tous les collègues opérationnels peuvent devenir auditionneurs TAM, indépendamment de leur grade ou de leur fonction », conclut Debra Van Den Abbeele. « Tout le monde ne réussit pas du premier coup, car la matière à maîtriser est gigantesque. Quiconque s’engage dans cette voie doit également avoir les épaules bien solides. Ce sont des faits à la dimension émotionnelle très profonde et lorsque les enfants entrent dans les détails, cela peut être très lourd à supporter, surtout si l’on a soi-même des enfants. L’auditionneur TAM ne reçoit aucune prime. C’est une mission qui vient s’ajouter à votre travail habituel. La reconnaissance nécessaire manque parfois. La circulaire stipule par ailleurs que, selon la norme d’expertise minimale, un auditionneur TAM doit procéder à dix auditions par an. Un auditionneur TAM formé doit également toujours prendre place en régie. Il faut donc s’engager à 100 %, car on en attend beaucoup de vous. »

Le réseau TAM de Gand

 

 

Repose en paix Peter

La triste nouvelle du décès de Peter De Waele, ancien porte-parole de la Police Fédérale, est également un coup dur pour DJT. « Il fut l’un des premiers chargés de cours TAM à être formé en 2001. Pendant des années, il fut auditionneur TAM mais aussi chargé de cours TAM pour Bruxelles (NL) et Brabant flamand. Les collègues TAM le tenaient en très haut estime pour son approche agréable et constructive. »

Nous souhaitons à ses proches et à toute personne ayant collaboré avec lui beaucoup de courage en ces temps difficiles.

Peter De Waele

 

 

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