09/03/2021 – 09/03/2022 : SKY 1 an d’enquête

Il y a un an jour pour jour était lancée l’une des plus grandes interventions de l’histoire du ministère public. Sur l’ensemble du territoire belge et à travers plusieurs pays, 200 perquisitions et 48 interpellations ont été réalisées simultanément. Une opération rendue possible par le travail acharné et le talent des spécialistes et enquêteurs de la police judiciaire fédérale, en particulier ses directions bruxelloises et anversoises.

20220309 SKY ECC

 

Eric BISSCHOP
Procureur fédéral adjoint

Il y a un an jour pour jour était lancée l’une des plus grandes interventions de l’histoire du ministère public. Sur l’ensemble du territoire belge et à travers plusieurs pays, 200 perquisitions et 48 interpellations ont été réalisées simultanément. Une opération rendue possible par le travail acharné et le talent des spécialistes et enquêteurs de la police judiciaire fédérale, en particulier ses directions bruxelloises et anversoises.

Depuis plusieurs mois, le Parquet Fédéral soupçonnait l’utilisation des téléphones cryptés fournis par la société Sky ECC à des fins majoritairement, si ce n’est exclusivement, criminelles. Des mois de travail, avec l’aide notamment des Pays-Bas et de la France, ont été nécessaires pour pénétrer le réseau, en comprendre le fonctionnement et en découvrir les clefs de cryptage.

Durant ces mois de travail discret, un milliard de messages ont été interceptés et sauvegardés. À ce jour, plusieurs centaines de millions ont pu être décryptés.

Les informations nées de ce dossier ont été partagées avec 22 pays.

En Belgique, comme le montre ce graphique, les phénomènes criminels liés à SKY ECC touchent l’ensemble du pays.

20220309 SKY ECC map

 

En un an, les informations mises au jour ont permis d’enrichir 118 dossiers déjà ouverts par les différents parquets du pays. Mais aussi de lever des pans du voile sur des phénomènes criminels, sur des pratiques illégales et sur des individus qui, jusqu’à ce jour, étaient restés indétectables.

Au total, 276 nouveaux dossiers ont ainsi pu être ouverts, 888 interpellations (Salduz 4) effectuées. Plus de 90 tonnes de drogue, de nombreuses armes, plusieurs véhicules ont été saisis et donc mis hors d’état de nuire. Au total, les biens et numéraires saisis atteignent les 60 millions d’euros.

Plusieurs dizaines de cas de corruption ont également été mis au jour. Le plus inquiétant à mon sens. Car entre menaces et chantage ou récompenses illégales, ces phénomènes de type mafieux doivent impérativement être éradiqués rapidement. L’expérience vécue par d’autres pays démontre à suffisance le risque de les voir s’enraciner au point de ne plus pouvoir être maîtrisés par les institutions chargées de protéger la société.

Et c’est en cela, avant tout, que le bilan, après un an, de SKY ECC est à mon avis très positif. Ce que la Justice et la Police fédérale ont réussi, c’est, avant tout, à protéger la société de ces phénomènes criminels parfois d’une violence sans limite. Ces tonnes de drogue n’ont pas touché nos rues et nos concitoyens. Les armes saisies ne menaceront plus.

Opération après opération, ce sont de nombreuses organisations criminelles qui sont arrêtées, déstabilisées et mises hors d’état de nuire.

Bien sûr, les bénéfices de l’argent de la drogue sont tels que de nouveaux réseaux se forment et s’adaptent. Mais l’engagement de la Justice et - son directeur général me le confirmait encore - de la Police fédérale, est de continuer à engager les meilleurs talents pour jouer notre rôle de garant d’une société dans laquelle la violence ne l’emporte pas sur le droit et la sécurité de tous.

 

Franky DE KEYZER
Procureur du Roi du parquet d’Anvers

  1. Remerciement

Les occasions de ce genre sont tout d’abord idéales pour exprimer quelques mots sincères de remerciement et d’appréciation.

 Je tiens tout d’abord à remercier les magistrats du parquet d’Anvers pour leur grand dévouement et leur implication. Je remercie ensuite sincèrement nos partenaires solides, tels que les magistrats du Parquet Fédéral et du parquet général, la police fédérale et en particulier la police judiciaire fédérale d’Anvers.

 En tant que PR d’Anvers, je considère comme un privilège de pouvoir compter sur l’implication et l’engagement des partenaires locaux, notamment de la police locale. Au sein de la police locale d’Anvers, 25 enquêteurs ont ainsi été désignés et se sont vu attribuer des enquêtes sur les drogues et des dossiers concernant la privation d’avantages patrimoniaux illégaux.

 

  1. Chiffres

Je vous ai dit l’année dernière que pour la première fois dans l’histoire de notre pays, nous avons pu créer une opportunité exceptionnelle de porter un coup dur à la criminalité organisée. Le flux d’informations et de données qui s’est mis en place grâce au craquage des cryptophones est en effet unique. Le défi était et reste d’exploiter cette gigantesque pépite d’informations.

 Je crois pouvoir dire que cette mission a été accomplie avec succès au cours de l’année écoulée.

 Dans l’arrondissement judiciaire d’Anvers, nous avons pu ouvrir pas moins de 229 nouveaux dossiers en un an. Pas moins de 61 enquêtes en cours ont pu être enrichies par des informations provenant de SKY. Entre-temps, tant des dossiers nouveaux que de dossiers enrichis ont été soumis au tribunal. Il y a actuellement 11 affaires. Nous attendons le premier jugement à la fin de ce mois.

 L’impact de SKY se fait également sentir au niveau mondial. Regardez l’arrestation du baron de la drogue le plus recherché de Colombie, Dairo Antonio Usuga, alias « Otoniel », chef du célèbre Cartel du Golfe, qui a eu lieu sur la base d’informations fournies par SKY.

 

  1. Haven & “follow the money”

Le port d’Anvers continue bon gré à mal gré à jouer un rôle crucial dans la lutte contre la criminalité organisée (liée aux stupéfiants) dans notre pays. Cependant, c’est également le port qui fait vivre l’économie belge. Il y a donc suffisamment de raisons de mieux protéger cette « infrastructure critique » et les personnes qui y travaillent. Selon moi, cela peut entre autres se faire en incluant nos ports maritimes dans la note-cadre sécurité intégrée et dans le plan national de sécurité.

Bien sûr, les criminels le font « pour le fric ». Il y a un modèle économique derrière tout cela et nous devons aborder cette économie illégale sous cet angle. Nous devons donc non seulement continuer à saisir les tonnes de coke qui affluent chaque année, mais nous devons en même temps atteindre les criminels le plus possible « là où ça fait mal », c’est-à-dire leur « porte-monnaie » (virtuel). Les parquets et les services de police devraient pour cela pouvoir coopérer plus facilement avec le fisc. Cela nécessite une intervention législative.

 

  1. Investir de toute urgence dans une approche structurelle de la criminalité organisée

Enfin, je tiens à souligner que SKY a un impact énorme sur l’ensemble de la chaîne pénale. Dans l’arrondissement judiciaire d'Anvers, la police judiciaire fédérale déficitaire, le parquet, les juges d’instruction et le tribunal sont soumis à une charge de travail sans précédent. En effet, les dossiers SKY ne sont pas les seules affaires que nous devons traiter.

Si nous voulons que les résultats impressionnants que nous sommes fiers de vous présenter aujourd’hui soient encore confirmés demain, si notre pays est vraiment sérieux dans sa lutte contre le criminalité organisée, s’il s’agit vraiment d’une priorité parce que nous comprenons enfin que cette forme de criminalité grave met chaque jour sous pression notre modèle de société, alors il est urgent de renforcer les flancs qui sont aujourd’hui les plus sous pression. Dans ce sens, il n’y a vraiment plus de temps à perdre.

 

Eric SNOECK - également au nom du Commissaire général Marc De Mesmaeker
Directeur général de la Police Judiciaire Fédérale

Le projet SKY ECC démontre de manière très visible ce que nous détections plus ponctuellement depuis quelques années : la criminalité organisée est bien présente dans nos pays, et elle évolue sans cesse. Elle se comporte exactement comme un écosystème économique classique. Des entités motivées par le profit surfent sur les progrès techniques et technologiques pour gagner en efficacité, se spécialisent dans certaines activités et forment des alliances voire « chassent » la concurrence. Le monde criminel se professionnalise, devient toujours plus violent, étend ses sphères d’influence au niveau planétaire et tente de prendre pied dans la société civile. En cela, elle constitue une menace discrète mais très dangereuse pour notre démocratie.

Pour lutter activement contre l’implantation de cette criminalité organisée, nos citoyens peuvent compter sur la détermination de la Police Judiciaire Fédérale.

À l’origine, ce sont des collaborateurs de la PJF d’Anvers qui ont réussi un véritable exploit technique. Initialement réalisé dans un dossier anversois, le « crackage » du code qui cryptait les messages échangés sur SKY ECC a débouché sur les dossiers et le projet que nous connaissons. Je salue la présence du directeur judiciaire de la PJF d’Anvers Yve Driesen.

Nous avons rapidement fait de ce projet une priorité nationale. D’autres directions de la Police Judiciaire Fédérale ont rapidement joint leurs forces à celle d’Anvers. D’abord les plus concernées a priori : Bruxelles, Liège, le Limbourg, Charleroi, la Flandre Orientale,…, puis l’ensemble de nos 18 directions : les 14 PJF déconcentrées, comme nos directions centrales des opérations, de lutte contre la criminalité organisée sans oublier l’investissement important de nos unités spéciales. Tout a été coordonné, avec rigueur et efficacité, au niveau national.

Ceci a mené et va encore mener à des résultats très significatifs, à l’échelle nationale et internationale, comme cela a été souligné par le Procureur fédéral adjoint.

Au niveau international, nous coopérons intensivement avec de nombreux autres pays, tant en Europe qu’en dehors, dans le cadre de SKY ECC. Cela souligne l’importance vitale de la coopération policière internationale et la nécessité de continuer à y investir. Dans ce contexte, la Belgique s’est fait connaître, dans le sens positif. Nous le ressentons très clairement dans nos contacts avec nos homologues internationaux. Nous pouvons en être fiers.

Un an après notre première opération d’envergure dans ce projet, nous disposons d’assez de recul pour dire que ce dossier marque aussi un tournant décisif pour la Police Judiciaire Fédérale, au niveau structurel et stratégique. Entre autres, il est plus que jamais évident que l’innovation, le recrutement de profils spécialisés dans la lutte contre la cybercriminalité et la criminalité financière doivent impérativement faire partie de nos projets actuels et futurs.

Le crackage de l’application SKY ECC a également un impact direct sur le travail de milliers de nos collègues de la Police Fédérale. Tout d’abord sur tous les enquêteurs et spécialistes IT qui, jour après jour, prennent en charge les dossiers liés à SKY, mais aussi sur toutes les personnes qui les soutiennent, assument des fonctions logistiques, administratives ou de coordination, reprennent le travail de collègues, participent à des arrestations ou accompagnent des suspects à la chambre du conseil, etc. C’est grâce aux efforts de toutes ces personnes que nous avons pu remporter ces succès.

En résumé, pour ne pas perdre la course contre le monde criminel face à nous, la Belgique a besoin d’une Police Judiciaire Fédérale et d’une Police Fédérale forte, spécialisée, bien coordonnée et moderne.  Je peux vous garantir que nous y travaillons tous les jours. 

Une PJF forte est aussi une PJF qui continuer à travailler en synergie intelligente avec la composante locale de la police, dont la connaissance générale des quartiers et du terrain doit impérativement rester complémentaire à notre spécialisation nationale et internationale. C’est le cas à Anvers, mais aussi de plus en plus partout dans le pays. Je remercie les autorités locales qui s’engagent activement dans cette coopération, comprennent la nécessité de ce combat commun et nous appuient.

Parfois, on risque d’être victime de son propre succès, et il faut alors faire attention et agir. En effet, l’avalanche de Sky vient s’ajouter à tous les autres dossiers en cours et missions principales qui requièrent également nos efforts quotidiens. À côté du trafic de cocaïne, notre vigilance et nos efforts doivent en effet se poursuivre dans les autres domaines pour lesquels nous sommes un acteur clé. Je pense notamment à différentes manifestations de la criminalité organisée, au trafic d’êtres humains, à la criminalité informatique, à la criminalité économique et financière organisée, ou bien entendu au terrorisme. De plus en plus de priorités doivent être fixées partout dans le pays, et nous  dialoguons avec nos autorités quant aux actions urgentes à prendre à cet égard.

Notre pays et la magistrature peuvent compter sur nous pour poursuivre cette lutte, dans le respect des possibilités offertes par la loi. La continuation de nos opérations judiciaires en équilibre avec nos autres domaines d’action, la recherche d’une plus grande efficience, l’activation de l’approche administrative ou encore le décryptage d’autres structures de télécommunications constituent, entre autres, nos défis actuels et futurs.

Si l’on compare nos résultats aux moyens mis en œuvre pour les atteindre, les membres de notre personnel méritent beaucoup de respect et de reconnaissance. Cela vaut également pour les autorités judiciaires et les autres services qui gèrent les affaires avec nous.