Photographier/filmer des policiers [Secunews]

Alors que l’utilisation des smartphones dans l'espace public s'est généralisée, on peut s’interroger sur le sort à réserver aux photos contenant l’image d’un policier. Quelles règles sont applicables à la diffusion de ce type de photos ?

Botta - Photographier - Filmer - Policier

La question du droit à l’image

En Belgique, un droit à l’image n’existe pas en tant que tel mais il se déduit du droit au respect de la vie privée. Pour la Cour européenne des droits de l’homme (Cour eur. D.H.), cette notion de vie privée inclut également la photo d’une personne. A savoir que, même dans un contexte public, les interactions entre un individu et des tiers peuvent relever de la vie privée.

En outre, selon le Code économique, ni l'auteur, ni le propriétaire d'un portrait, ni tout autre possesseur ou détenteur d'un portrait n'a le droit de le reproduire ou de le communiquer au public sans l'assentiment de la personne représentée ou celui de ses ayants droit pendant vingt ans à partir de son décès.



Et la liberté d’expression ?

Le droit à l’image est mis en tension avec un autre droit aussi important, la liberté d’expression qui est celle de recevoir ou de communiquer des opinions ou des informations ; droit pouvant être soumis à certaines formalités pour protéger les droits d'autrui.

Ainsi la Cour européenne des Droits de l'Homme estime que la liberté d’expression comprend la publication de photographies mais, vu l’importance particulière des informations qu’elles contiennent, la personne représentée peut en contrôler l'utilisation, en refuser la diffusion et la publication, s'opposer à son enregistrement, sa conservation et sa reproduction.  

Pour la Cour, la tension entre ces deux droits peut être résolue en tenant compte de plusieurs critères : la contribution à un débat d’intérêt général ; la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage ; le comportement antérieur de la personne concernée ; le contenu, la forme et les répercussions de la publication ; les circonstances de la prise des photos ; la gravité de la sanction imposée.



Quelques exceptions communément admises

Lorsqu’une personne s’expose dans un lieu public (avenue, gare, parc, station de métro, etc.), on considère qu’on peut la photographier/filmer et que son accord est tacite, sauf si les circonstances concrètes prêtent à équivoque. Cet accord ne vaut pas pour la diffusion/reproduction de l’image.

Dans les situations où certaines personnes apparaissent fortuitement sur une photo (ou une vidéo) prise dans un lieu public (par exemple la photo d'un monument sur laquelle apparaissent des personnes), il est considéré qu'un consentement pour l'utilisation ultérieure de cette photo (ou vidéo) n'est pas requis. Il en est de même pour prendre des images d'une foule et pour les utiliser ultérieurement car l'image de la personne est secondaire.

 

Et les personnes publiques ?

En principe, les personnes publiques (par exemple, les hommes politiques, les vedettes du monde sportif, les chanteurs, …) ne doivent pas non plus donner leur consentement préalable pour la diffusion de leur image en vertu du droit à l'information. Toutefois, il convient que l'objectif soit bien d'informer et qu'il ne s'agisse pas d'un but commercial. En outre, ces personnes conservent le droit au respect de leur vie privée. Dès lors, en toute hypothèse, les policiers ont évidemment droit au respect de leur vie privée.

La distinction entre vie publique et vie privée se fait en fonction de circonstances concrètes. Notamment, on pourra se baser sur la nature de l'activité durant laquelle la personne a été photographiée.



Les policiers sont-ils des personnes publiques ?

La réponse à cette question n’est pas simple et elle dépendra du juge auquel elle sera éventuellement soumise. Ainsi, il a été jugé qu'un commissaire de police, porte-parole de son corps de police, est un personnage public tandis que la fonction de commissaire général n'implique pas que l’on soit de facto un personnage public. Il serait dès lors plutôt question de rôle que de statut.

Toutefois, l’assimilation à la notion de « personnes publiques » peut découler d'un événement bien déterminé, comme une catastrophe, voire de circonstances, mais alors l’image doit avoir un rapport avec cet événement. Si l’on se base sur ce principe, le simple fait pour un policier de circuler sur la voie publique n’en fait pas ipso facto un personnage public et il conserve donc les mêmes droits qu’un citoyen lambda en matière de vie privée. 

Néanmoins, comme l'a décidé le tribunal civil de Bruxelles en 2019, sans remettre en cause l’équilibre entre droit d’informer et sauvegarde des droits individuels, la liberté d’expression implique le droit de filmer des actions policières (ex : gestion de manifestation) et la divulgation de photographies de policiers dans l’exercice de leur fonction publique est assimilable à celles de personnes publiques.                       



Et le respect de la « Loi Vie Privée » (LVP) ?

Gérer des photos, c’est aussi gérer des données, ce qui tombe sous l’application de de la LVP.

Il a été jugé que, si le traitement est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou d’un intérêt légitime, la loi est respectée.

Alors que cette condition n‘était pas remplie, la cour d’appel de Gand a, au contraire, considéré que le simple fait de photographier un policier n’est pas une infraction mais la publication de son image sans son consentement, alors qu’il est le personnage principal de la publication, contrevient à la législation relative à la protection des données.

En l’absence d’une réglementation ad hoc, la matière est complexe et les interprétations sont laissées aux tribunaux. 

 

Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d'une zone de police er

 

Sources :

Isgour Marc, "La prise d’images d’interventions policières", in De Valkeneer Christian et alii, Les prises de vue des interventions policières, Les Cahiers du GEPS, Ed. Politea, 2022, pp. 11-33

https://politeia.be/fr/publications/331048-les+prises+de+vue+des+interv…

"Avis d’initiative concernant les situations dans lesquelles des citoyens filment des interventions de police et concernant la protection des données à caractère personnel et de la vie privée des fonctionnaires de police à l’égard de tiers pendant l’exécution de leurs missions policières.", n° DD200025, publication de l’Organe de contrôle de l’information policière (COC) du 22/11/21, sur : 

https://www.organedecontrole.be/files/DD200025_Avis_dInitiative_F_SIGN%…