Quelles leçons tirer des débats sur la police au Québec ?
L’exercice de la police au Québec a récemment fait l’objet de réflexions dans le cadre de la rédaction d’un « livre vert sur les réalités policières », en vue d’une réforme de la législation. Ces travaux font échos à des débats belges.
En vertu du fédéralisme canadien, l’organisation de la police est essentiellement une compétence provinciale. Au Québec, depuis la loi sur la police de 2001, la desserte policière est articulée entre la Sûreté du Québec (SQ), une trentaine de polices municipales (réparties en cinq niveaux selon leurs moyens et les interventions qu’elles assument) et des polices actives dans les communautés autochtones. La loi de 2001 avait aussi réformé la formation et reconnu le principe de la police communautaire comme base du travail policier. Depuis 2019, un processus de réforme de cette loi est en cours. Une commission a été chargée de dresser un aperçu des réalités policières puis de faire des recommandations à ce sujet au gouvernement provincial. Les corps, institutions ou milieux concernés par les enjeux policiers ont pu contribuer à son travail, grâce à des mémoires défendant leurs priorités et leur vision de la police du 21e siècle.

D’hier à demain : réalités et enjeux policiers au Québec
Le premier constat du livre vert est celui de la complexité croissante du travail policier, face à une criminalité et des réalités sociales évoluant rapidement. D’une part, cela déboucherait sur le besoin d’une spécialisation accrue : la commission souligne la nécessité que la police soit mieux outillée face à des formes nouvelles de criminalité, notamment numérique ou financière. Elle insiste aussi sur l’importance de renforcer les capacités d’intervention en matière de travail social ou face aux problématiques de santé mentale, tant en interne qu’avec des organismes communautaires.
D’autre part, cela débouche sur des propositions de réforme de la desserte policière. Pour améliorer et uniformiser le service policier, il est proposé de réduire le nombre de polices municipales, au profit d’un recours plus large à la Sûreté du Québec. Dans les faits, cela s’effectuerait par la diminution du nombre de niveaux existants dans les corps de police, et par l’augmentation du taux de population permettant à une municipalité de disposer d’une police autonome. Il est aussi préconisé de recourir de manière accrue à des emplois civils ou à la sécurité privée.
La commission insiste ensuite sur le besoin de développer une police « plus humaine », aux liens renforcés avec la population. Elle promeut dans ce but une approche multidisciplinaire du travail policier, en collaboration avec le tissu communautaire local. Elle aborde ensuite la question de la diversité des corps de police, lesquels devraient faire plus de place aux femmes ou aux personnes issues des minorités. La commission souligne ainsi la nécessité de considérer avec objectivité la question du racisme. L’importance de la formation initiale et continuée des policiers est rappelée. Finalement, la commission souligne la nécessité d’accompagner l’ensemble de ces réformes par une politique financière adéquate et une attention à la situation et à l’accompagnement des policières.
Certaines de ces recommandations ont été reprises par le gouvernement du Québec dans un projet de loi déposé en novembre 2021. Celui-ci met l’accent sur la question de la spécialisation et de l’expertise de la police. En réaction à la multiplication des débats sociaux et politiques autour de la police, ce projet veut aussi renforcer l’éthique, la déontologie et la confiance envers la police par un élargissement du contrôle de son action. Le futur de l’architecture policière reste encore en discussion.
Des réflexions de là-bas pour nourrir la réflexion ici
S’adapter à une société changeante et à l’importance de son versant numérique, reconsidérer les liens avec la population et mieux la refléter, répondre de manière adéquate au grand écart des interventions allant de la lutte contre le crime à l’intervention en santé mentale, mieux former les policiers et adopter la structure policière la plus adéquate : ces thèmes issus du débat québécois montrent combien les discussions sur la police se font écho d’un pays à l’autre. Décentrer le regard se révèle toujours être une démarche pertinente : les sujets abordés dans le livre vert et les contributions ayant accompagné sa rédaction ne peuvent que nourrir le débat belge[1].
Sans être parfaite, l’intérêt de la méthode « participative », basée sur une large logique de consultations et possibilités pour les citoyens, le monde associatif, les corps policiers, leurs représentants est également à souligner. Elle constitue un bel exercice démocratique et surtout une possibilité de nourrir un indispensable débat.
Jonas CAMPION
Docteur en histoire, UCL Louvain – Paris IV Sorbonne
Professeur en histoire, Université du Québec à Trois-Rivières
Pour consulter le livre vert, publié en mai 2021 :
https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/police/pratiques_policieres/rapport_ccrp_final.pdf
[1] Notamment dans le cadre des États généraux de la police.